Ce qu'il est advenu

Liste non exhaustive de ce qu'il est advenu entre le neuf juin et le quatre septembre à Montréal 2018, et apparté flottante à New York. Ce site web est l'archive photographique et textuelle d'un été passé à l'étranger, de cette parenthèse sur un autre continent, de mon regard sur une autre culture.

Grand format

Les écarts d'échelles colonisent ma vision de la culture nord‑américaine. C'est une nouvelle unité de mesure qui s'impose à moi, les mètres ne suffisent plus, les litres sont insatisfaisants. Mes quatre dimensions s'étirent, la ville est déformée par une mise au point sensorielle.
Je fixe mon frigo, que mon colocataire a rempli de denrées de grands formats, et je vois mes aliments individuels se noyer dans les aplats colorés des grands bocaux, bouteilles, sachets. Quel dessein le pousse à planifier sur 3 mois sa consommation de beurre de cacahuète ? Quelle vision entretient ce pays de 9,985 millions km² pour construire des tours de 226 mètres de haut ? Quel fantasme anime ceux qui crèèrent la « crise cardiaque », une poutine de 15 livres ?

❥ Passer des heures à la Graîne Brûlée

❥ Arpenter la ville en bixi

❥ Boire un chai latte tous les matin

❥ Manger japonais à Rosemont

❥ Lester son corps de poutine

❥ Ne pas trouver les portes minuscules des boutiques

❥ Prendre en photo des écureuils, castors, ratons-laveur

Bricolage et langage

Le québécois est le nouveau français ou le français est québecois ? anglicisme ? franco-francisme ? Le québecois est full contradictions. Il traduit « waterproof » par « hydrofuge » et charge ses phrases d'innombrables « anyway », « whatever » ou « cute ». Deux cultures se heurtent, en un équilibre sporadique. Le québécois est une langue orale, elle se s'écrit pas. Elle se transforme chaque jour, se nourrissant des micro-impacts des dialogues. Ce sont les rencontres franco-anglophones qui maillent la ville qui fabriquent un langage bricolé, tordu, disloqué. « Anyway je vais souper tantôt avec la gang dans un chill out trop cute ». Ce sont ces impacts qui désacralisent la langue et en font l'outil de toutes les fantaisies.

❥ Parcourir des kilomètres de rues résidentielles à la tombée du jour

❥ Convertir des centimètres en pouces et des dollars en euros

❥ Marcher dans la rue sans être importunée

❥ Commencer mes phrases par "fait que"

❥ Découvrir qui est "criss"

❥ Manger des bagels

❥ Faire face à une infestation de puces de lits

❥ Dévorer des doughnuts

❥ Tutoyer des inconnu·e·s

❥ Détester les taxes et pourboires

❥ Se perdre sur les routes du mont Orford

❥ Passer la douane en claquettes-chaussettes

Porte sur rue

Les rues résidentielles sont arpentées de portes. Des portes vitrées, voilées de dentelles. Ces portent s'ouvrent, sans sas ni couloir, sur l'intimité d'inconnus. Un regard depuis la rue suffit à observer l'inquiétante normalité des vies qui peuplent ces maisons. Les portes sont ouvertes. Sur la rue. Sans portail ni clôture. La ville carillonne des portes qui claquent, délivrée de l'angoisse : « est-ce que j'ai bien fermé ? ».

❥ Abuser des myrtilles et des framboises

❥ Mater des feux d'artifices sur les toits

❥ Grimper des escaliers de secours

❥ Compter des (très) grosses voitures par milliers

❥ Vivre une canicule

❥ Rouler avec ma gang

❥ Traverser le pont Jacques Quartier en vélo par 46°C

❥ Marcher lentement

❥ Explorer la nuit

❥ Acheter une fan

❥ Discuter des heures avec des inconnus dans la rue

L'acier des escaliers

Comme un fantasme télévisuel, les rampes en acier colonisent les murs de briques. « Escaliers de secours », ils deviennent « échelles oniriques » : en les gravissant, le coeur vibrant d'un frisson vertigineux, les toits s'offrent à nos corps tremblant.
Les cours intérieures s'emplissent de murmures, puis d'éclats sonores. Les vies juxtaposées, rangées, quadrillées se recomposent en autant de rendez-vous réguliers.

❥ Ne pas manger de pain et de fromage et m'en foutre

❥ Utiliser une éponge à réservoir de liquide vaisselle

❥ Dire bonjour-hello lorsqu'on rencontre quelqu'un·e

❥ Célebrer la fête du Canada

❥ Respecter les feux rouges

❥ Perdre deux fois ses papiers, et les retrouver deux fois

Le bleu tournant

Mes doigts peuvent dessiner dans le vide la silhouette d'une ville qui entretient le bleu tournant. Telle une courbe de dénivelé, un graphique en bâtons, un sondage d'opinion, la ligne des buildings est hétéroclite, asymétrique, élastique. J'habitais dans un petit immeuble de deux étages et ma vision se heurtait chaque matin aux 27 étages du CHU de Montréal. La ville s'élève de quelques centimètres chaque jour, son dess(e)in est altéré quotidiennement. L'horizon est contrarié par des édifices éclectiques, créant des zones de blanc, le bleu tournant.

❥ Signer un contrat avec la reine Elisabeth

❥ Magasiner le dimanche

❥ Observer ma voix changer de rythme quand je parle

❥ Signer des tickets de caisse

❥ Manger des Reese dans des cinéma en plein air

❥ Bouffer la culture

SM

New york, tu as laissé un trou béant dans ma poitrine, de ces traces amèrement douces qui se diluent difficilement. Tes rues m'ont avalée, malmenée, guidée. Tu as déchiré mes mollets, brûlé ma peau et dilaté mes pupilles. Tu pues, tu es bruyante, tu es brûlante, tu es trop grande. Ton atmosphère est emprunte d'un nuage de pollution que l'on distingue aux extrémités du jour, lorsque la lumière peine à découper le ciel. Ta configuration géométrique laisse à croire que tu es prévisible. Et pourtant, tu es si éclectique, tu es colorée de nuances invisibles à l'oeil nu. Tu es chaude de tes briques et de tes couchers de soleil. Tu dévores le ciel de ton ambition, et mon cellulaire dégouline de tes vues en contre plongée. Tu es écoeurante de consommation, tes rues flamboient des plus belles lumières du capitalisme. Tu t'animes de millions de batailles, des collisions des passants dans les rues, des echos aigus des sirènes, des vibrations des marteaux piqueurs. Ta silhouette si sévère révèle la légèreté et la douceur de tes rues, celles du sud de Manhattan, celle de Brooklyn. Tu t'évertues à semer les voyageurs dans tes souterrains, à les faire fondre dans tes entrailles, à les frigorifier dans tes infrastructures surventilées. Et la vie s'obstine à te féconder, se déclinant de façon segmentées, dans tes rues parallèles. Les pensées les plus modernes et progressistes se heurtent aux devantures criardes des fast-food, les pins anti-Trump sont vendus à côté des camions de glace, l'art est financé par Red Bull.

❥ Subir les sirènes des ambulances

❥ Faire des barbecue partout

❥ Rencontrer des gow sûres

❥ Visser 350 vis en 4h

❥ Engloutir chaque coucher de soleil

❥ Encaisser le bitume irrégulier de la ville

❥ Partager un balcon avec ses voisin·e·s

❥ Rentrer tous les soirs en vélo, en dévalant la rue Saint-Denis

Saint-Denis, 1h56

Montréal n'est pas une ville plate. Je ne suis pas sportive. Ainsi, les 205 km de ces 3 mois répartis sur 55 déplacements en bixi furent autant d'ivresse à dévaler les rues parallèles, généralement de nuit, parfois sous la pluie. Les 9 minutes presque quotidiennes à parcourir la rue Saint-Denis devinrent un rituel, de ceux qui simulent une liberté pas si artificielle.

❥ Me sentir chez moi